- 12 octobre
- 18,1 km
- Sahagún – El Burgo Ranero
J’entre dans une phase de grande monotonie. Durant deux jours, le Chemin est identique. Une longue ligne droite qui jouxte une route. Sur la gauche, il est arboré de jeunes platanes, tous plantés à distance égale. En observant bien, je trouve de l’originalité dans cette uniformité. Le ciel prend des tonalités qui, pour moi, sont innovantes. Il est couleur terre. En fonction du sol, il vire de l’ocre jaune à l’ocre rouge. Selon le vent, il est plus ou moins épais. Il influe sur l’atmosphère. Ferait-il de même sur l’homme ?
Une forte chaleur, une terre complètement asséchée, une légère brise et la poussière rouge se soulève. Elle envahit l’horizon. Les couleurs ne se mêlent pas.
En regardant mon aquarelle, Malgo, qui me croise, constate :
– Tu vois des choses que je ne vois pas !
Je lui détaille le dessin en lui expliquant le rôle que joue le vent dans la colorisation du ciel. Elle voit bien l’horizon rouge sur le carnet. Elle lève le nez, le pose sur l’horizon. Elle ne voit pas le rouge dans le ciel. Mes yeux voient, mon pinceau interprète… En l’absence de toute monotonie, je n’aurai peut-être pas perçu toutes ces subtilités. Néanmoins, le jeune polonaise se dit être l’animatrice de mon fan club auprès des jeunes marcheurs internationaux. Ils me connaissent tous. Parfois, ils s’abordent et demandent à feuilleter le carnet avec beaucoup de soin et de respect.
Même si El Burgo Ranero est un grand village, j’ai l’impression d’être au milieu de nulle part, coincée entre deux lignes droites : celle arpentée aujourd’hui et celle que je suivrai demain. El Burgo Ranero adopte les couleurs de sa terre. Les enduits des parements des maisons basses sont faits de terre mêlée à la paille. Ce camaïeu d’ocres est très reposant. Bruce, Scott et Claire sont arrivés bien avant moi. Ils m’ont annoncée au refuge municipal et ont justifié mon retard pour me garder un lit. Ce soir, je suis chanceuse. Je suis une des dernières à avoir un lit. Le refuge est plein. Malgré l’heure avancée, il y a encore beaucoup de passage. Les marcheurs sont orientés vers un autre hébergement.
Dès que je me pointe, avant la présentation de la credential, les accueillants, des bénévoles américains, me questionnent :
- Tu es française ?
- Oui
- Es-tu bien la française qui peint ?
- …
- Peux-tu nous montrer tes dessins ?
- Oui
Je sors le carnet de dessins de mon « Staf » : nom donné par d’autres américains, Wendy et Scott, à la volumineuse banane que je porte sur mon ventre. Dedans, il y a tout mon matériel de peinture : le carnet en cours, la boîte de godets de couleurs, les pinceaux… et ma credencial.