Quel calme ! Nous marchons dans une surprenante sérénité. La tempête d’hier est dans nos mémoires. Nous suivons une voie ferrée transformée en piste cyclable ou coulée verte. Le chemin, surélevé, est bordé de fossés. En contrebas, derrière les haies, des champs, des marécages… Le tracé est monotone.
J’arrive tard à Lessay. Pour ne pas perdre de temps, je file vers l’édifice phare de la ville, l’abbatiale. Ses portes se ferment automatiquement à 19h. La lumière d’un vitrail d’entrelacs éveille mon attention. Rapidement, je le couche sur papier.
Etape 7 : 12 avril – vers Saint-Lô-d’Ourville – 15,5 km
Petit déjeuner au bar. Déjà, nous avons nos habitudes ! Au comptoir, les clients se succèdent. Devant un petit noir, ils râlent après les intempéries. La patronne les bouscule : « Arrêtez ! Nous avons besoin d’eau. Cet été, vous pleurerez sur la sècheresse.… »
Dehors, le Noroît souffle fort, très fort. Il atteindra les 110 km/h en début d’après-midi. Vent debout, nous courbons l’échine pour mieux avancer. Quand, il attaque par côté, il me déporte sans cesse. La vigilance est de mise. Au-dessus de nous, la course des nuages est effrénée. Mais, l’eau ne tombe pas. Les grains de sable soulevés par rafales nous cinglent le visage. Au loin, ils se transforment en épais nuages ocres.
Sur la digue de Carteret, j’essaie de saisir les mille tonalités de la Manche. Les vagues ont de la vigueur. Le camaïeu de bleu vire parfois au vert. Il est d’une richesse infinie. Je le trouve plus extraordinaire que les jours précédents.
Je reprends l’aquarelle à l’entrée de Port Bail, à l’abri dans un café, alors que les rafales de vent atteignent la vitesse annoncée. Là, elles ne me dérangent plus. Face à moi, le profil de la ville se dessine très nettement. Le ciel est d’un indigo intense. Le soleil tape sur les murs créant un jeu de contrastes étonnants.
A peine sommes-nous entrés dans l’hébergement, que dehors la pluie mêlée à la grêle tombe en trombe. Ouf ! Derrière la fenêtre fermée, je peins les arbres courbés par le vent. Puis je me lève, une rafale claque sur la vitre. Instinctivement, je me replie vers l’avant comme pour lui résister … Je suis à l’intérieur ! ! !
Nous partons sans traîner pour éviter la pluie annoncée en début d’après-midi. Le chemin passe au pied des dunes côté terre. Le Noroît, un vent de nord ouest, souffle fort. Je m’installe dans le creux d’une dune pour peindre à l’abri. Puis nous traversons une zone agricole. Les parcelles cultivées alternent avec des enclos de vaches, de chevaux… Le tracé serpente le long d’un petit canal d’où pointent des iris d’eau. Le soleil n’arrive pas à percer. Il fait de plus en plus frais. Quelques gouttes nous alertent.
Nous entrons dans Barneville sous la pluie. Elle ne cesse de tomber toute la soirée, toute la nuit… P. me fait remarquer l’évolution de la fréquentation du bar dans lequel nous nous abritons pour tuer le temps. A 17h, des couples d’âge mûr sont assis en tête-à-tête. A 18h30, des plus jeunes prennent place… Les tables sont toutes occupées en cette fin de journée, le zinc également.
La période de beau temps prend fin. Toute la matinée, nous avançons sous la pluie et dans le vent. En faisant une large boucle, nous contournons la centrale nucléaire. Le chemin est boueux. Il n’y a pas de place pour l’aquarelle !
Les Pieux, nous nous arrêtons dans la seule enseigne ouverte en ce lundi de Pâques pluvieux, un kebab. En milieu d’après-midi le ciel se calme. Le soleil tente de percer. Il est le bienvenu. Alors que nous avons rejoint le sentier du littoral, nous devons dévier. L’eau des marais de la réserve naturelle de la Mare de Vauville sont hauts. Leur traversée est impossible. Nous poursuivons par la plage.
Heureuse ! Enfin, un petit arrêt aquarelle pour moi et une petite sieste pour P. Assise sur la pente d’une dune, je tente de poser l’immensité bleue sur le papier. Et, nous profitons de cette accalmie en jouant les prolongations et en savourant l’instant présent.
Après les falaises, nous nous posons au bord d’un lavoir. Pendant que P. bouquine les deux pieds dans l’eau, je poursuis ma quête d’aquarelliste. Puis, nous redescendons la plage sur près de 10 km. A l’extrémité sud, se profile la centrale nucléaire de Flamanville. A nouveau, la fin du parcours nous mène à l’intérieur des terres sous un ciel qui se couvre. Le paysage est vallonné. Les fleurs sont en fête. Les oiseaux également. L’accueil de nos hôtes est à l’image de la nature. Ils sont surpris de voir arriver des marcheurs. Le gîte est un peu à l’écart du GR. Ils nous offrent le couvert avec des oeufs d’oie à la coque. Dans leur cuisine, ils s’assoient à nos côtés. Nous parlons de leur passion pour les animaux. Avec les oies, ils élèvent un cochon, une vache, des moutons… Ce soir là, j’oublie mes pinceaux.
Du tiers-lieu qui nous a accueilli pour la nuit, nous rejoignons le GR. Au détour d’un sentier, un chevreuil nous surprend. Cette rencontre renforce notre enthousiasme. La journée est idéale pour crapahuter sur les falaises de Jobourg. Le sentier est sportif, étroit, rocailleux, aux multiples dénivelés. De la hauteur, cent mètres, la vue est superbe. Nous sommes en surplomb, comme suspendus au dessus de l’eau. Sur les parois rocailleuses, les genets sont éclatants. Leur jaune est en contraste avec le bleu profond de l’eau en contrebas.
Nous passons sous le centre de traitement des déchets radioactifs. Un point de vue semble aménagé pour les photographes. Impossible d’éviter cette étrange verrue d’autant que quelques infrastructures plongent dans l’eau. Elles coupent en deux ce site préservé.
En cheminant sur un terrain escarpé, sur des lits de cailloux et de galets, en escaladant les murets de pierre, nous arrivons au phare de Goury. Egalement nommé phare de La Hague, il s’élève sur un rocher, le Gros du Raz. La marée est descendante. Nous pourrions presque atteindre l’édifice à pied… Au loin, la silhouette de l’île anglaise d’Aurigny est à une quinzaine de kilomètres. Plus bas, la baie d’Elcagrain…
Plus loin, de belles vachesNormandes paissent en front de mer. Quel luxe ! Puis, quelques moutons broutent dans la succession de champs clôturés par de petits murs de pierres. Le long de la côte, les parcelles sont de taille modeste. Pour passer d’un terrain à l’autre, nous enjambons, nous escaladons. Avec le sac sur le dos, le corps manque d’agilité. Alentour, tout est authentique. Mais, à l’horizon, vers l’intérieur des terres, d’étranges constructions rappellent la présence du centre de retraitement des déchets radioactifs de la Hague.
Quel beau paysage ! Je ne sais où poser les yeux… Tout comme les pieds. Les chemins de galets et de graviers sont inconfortables. Il m’est difficile de regarder simultanément le sol et le paysage… Je n’ai que l’embarras du choix pour saisir le décor. La côte est escarpée, les roches très irisées vont du beige au brun encre en passant par le lit de mer au riche camaïeu de bleu. Mais, le versant vallonné et les marais ont ma préférence.
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